Hubertus Mühlhäuser veut subdiviser les départements OnRoad et Agriculture de CNH Industrial

19 juin 2020
Peter Menten & Roman Engeler
Roman Engeler

En 2018, Hubertus Mühlhäuser a repris les commandes de CNH Industrial. Nous avons eu l’occasion d’interroger l’homme fort derrière les marques Case IH, New Holland et Steyr sur la direction future du groupe. D’ici janvier 2021, il souhaite scinder le groupe en un département On-Road avec Iveco et la branche moteur FPT et une branche […]

En 2018, Hubertus Mühlhäuser a repris les commandes de CNH Industrial. Nous avons eu l’occasion d’interroger l’homme fort derrière les marques Case IH, New Holland et Steyr sur la direction future du groupe. D’ici janvier 2021, il souhaite scinder le groupe en un département On-Road avec Iveco et la branche moteur FPT et une branche agricole avec les marques New Holland, Case IH et Steyr, mais aussi le matériel de génie civil et les véhicules spéciaux.

TractorPower: ‘Vous êtes le responsable de CNH Industrial depuis 2018. Quelle a été votre première impression lorsque vous avez repris les commandes de ce groupe?’

Hubertus Mühlhäuser: ‘J’ai découvert une entreprise avec une gamme incroyablement large de technologies et de marques fortes, en particulier dans le domaine de l’agriculture. Je connaissais déjà par le passé certains départements de CNH Industrial, d’autres comme Iveco ou Magirus étaient moins bien connus de moi. C’est pour cette raison que dans un premier temps, j’ai voulu apprendre à mieux connaître la taille de cette entreprise qui compte 65.000 employés et génère un chiffre d’affaires de près de 30 milliards de dollars. Après cela, j’ai restructuré la direction du groupe et formé une équipe, qui mettra en pratique le plan d’affaires stratégique pour le développement futur de CNH Industrial.’

TP: ‘Les structures précédentes étaient-elles trop compliquées selon vous?’

HM: ‘Normalement, on développe d’abord une stratégie, et puis on déploie la structure de direction qui va s’y référer. Mais l’organisation de CNH Industrial était cependant un peu trop complexe, ce qui m’a d’abord conduit à déployer une nouvelle structure plus légère, qui peut être appliquée aux 4 segments industriels. En parallèle, il existe aujourd’hui une plate-forme fonctionnelle qui nous permet d’aborder efficacement des mégatendances globales telles que la numérisation, l’automatisation et les carburants alternatifs. Ces tendances sont un fil conducteur à travers toutes nos divisions.’

TP: ‘Concrètement, à quoi ressemble cette stratégie?’

HM: ‘Elle est basée sur 3 piliers. Le premier pilier est de gagner en croissance et en parts de marché grâce à l’innovation. Notre plan stratégique prévoit qu’au cours des cinq prochaines années, nous voulons investir environ 13 milliards de dollars dans l’entreprise, dont plus de la moitié dans le secteur agricole. A ce niveau, nous voulons nous concentrer sur les technologies numériques, l’automatisation et les entraînements alternatifs tels que le biogaz ou l’hybride. Ainsi, nous voulons atteindre une croissance de 5% par an. D’une part, je crois que le marché mondial de l’ingénierie agricole reprendra de manière générale. D’autre part, nous avons encore le potentiel de gagner des parts de marché, en particulier dans les régions de langue germanique. Le deuxième pilier est basé sur une augmentation des bénéfices en redéfinissant les processus et les structures ce qui devrait alors nous permettre de répondre plus facilement aux demandes du marché. Le service après-vente doit également être amélioré et gagner en efficacité. Travailler avec CNH Industrial et nos marques doit devenir moins bureaucratique.’

TP: ‘Il y a quelques mois, vous avez dévoilé vos plans de scission de CNH Industrial. Quel but voulez-vous atteindre à ce niveau?’

HM: ‘C’est le troisième pilier de notre stratégie. Nous voulons séparer la division On-Road, avec des marques telles que Iveco (camions, camionnettes et bus) et FPT (moteurs) de CNH Industrial et les présenter séparément à la bourse. A terme, il y aura donc deux sociétés cotées en bourse, et qui seront chacune en tête de leur industrie dans le monde entier. La raison de cette scission est exactement ces mégatendances dont j’ai parlé plus haut. Ils s’appliquent à la fois à l’Off-Road et à l’On-Road, mais nous voyons un profil d’investissement complètement différent et en fait très peu de synergies. La seule synergie concerne les moteurs pour lesquels nous conclurons des traités d’approvisionnement à long terme avec FPT, de sorte que le savoir-faire de FPT pour les équipements agricoles et de construction soit préservé. Enfin, nous voulons mettre fortement l’accent sur le management au cœur de l’entreprise, mais aussi créer de la valeur ajoutée pour nos actionnaires.’

TP: ‘Quel est l’état d’avancement de vos plans pour le moment?’

HM: ‘Au cours de cette année, nous annoncerons d’autres détails, à commencer par les annonces du management au 2e trimestre. L’objectif est de finaliser cette scission d’ici le 1er janvier 2021.’

TP: ‘Quelles seront les conséquences pour le département agricole de CNH Industrial?’

HM: ‘Les conséquences seront positives. Dans sa version apurée, CNH Industrial sera principalement un groupe d’ingénierie agricole qui pèsera environ 15,6 milliards de dollars. Pour l’instant, l’agriculture ne représente que 40% des ventes, demain elle représentera 75%. Le département agricole sera alors complété par le matériel de génie civil et les véhicules spéciaux.’

TP: ‘Si l’on s’attarde aux trois marques agricoles, comment allezvous positionner New Holland, Case IH et Steyr?’

HM: ‘New Holland sera le full-liner complet avec des tracteurs de petite et de grande puissance et un focus absolu sur les techniques de récolte et de fenaison. Depuis de nombreuses années, New Holland est le leader mondial des moissonneuses-batteuses et nous allons donc continuer à nous concentrer sur ce secteur. Par ailleurs, New Holland est également bien présent dans des segments spécifiques, comme la viticulture, la fruiticulture et les cultures maraîchères. Selon le marché, nous voulons positionner Case IH comme un full-liner avec des tracteurs et du matériel de récolte, mais plutôt auprès d’entreprises spécifiques qui sont liées à ces machines. En ce qui nous concerne, Steyr est la marque high-tech dans le segment des tracteurs. A l’avenir, Steyr présentera de nouvelles technologies sur le marché avant que ces technologies ne se retrouvent sur nos autres marques. Un exemple concret à ce niveau est le concept de tracteur à entraînement hybride que nous avons présenté lors d’Agritechnica. Steyr restera également une marque axée sur le marché européen, qui va travailler le marché en tant que constructeur de tracteurs et entend rester attrayant pour des collaborations alternatives avec d’autres constructeurs européens de machines agricoles tels que Kuhn, Amazone, Pöttinger, Lemken ou encore Horsch. Nous remarquons que ces marques short-liners sont de plus en plus poussées en-dehors des canaux commerciaux par de grands full-liners, et que ces marques sont donc à la recherche d’un tracteur premium pour aborder ensemble les clients.’

TP: ‘Steyr n’est pas représenté dans tous les pays européens. Faut-il s’attendre à ce que cela change?’

HM: ‘Absolument! Aujourd’hui, Steyr n’est pas représenté à sa juste valeur en Europe, ni comme nous le voulons à l’avenir. Je vois encore un certain potentiel pour cette marque, et en particulier en coopération avec les concessionnaires qui vendent maintenant principalement des outils des marques citées ci-dessus.’

TP: ‘Avec la reprise de Kongskilde, CNH Industrial a réalisé une avancée supplémentaire pour devenir un full-liner. Ces machines seront d’abord commercialisées sous les couleurs New Holland. Cela va-t-il changer à l’avenir?’

HM: ‘Dans un premier temps, ces machines seront uniquement destinées au réseau New Holland. Par ailleurs, elles seront également commercialisées aux couleurs Kongskilde à travers nos réseaux et par d’autres revendeurs OEM.

TP: ‘Le programme de machines Kongskilde aux couleurs New Holland n’est pas disponible sur tous les marchés. Mettez-vous la pression sur les organisations locales de vente afin de les mettre à leur programme?’

HM: ‘Nous travaillons également à la professionnalisation de notre réseau de vente en Europe. Il y aura certainement des changements semblables à ce niveau-là, y compris dans la direction que vous venez d’indiquer.

TP: ‘Allez-vous développer cette stratégie full-liner partout?’

HM: ‘En tout cas au moins là où nous pouvons renforcer les marques New Holland et Case IH dans leur segment respectif. Nous avons récemment fait quelques acquisitions comme celles de K-Line (fabricant de machines), ATI Track Systems (sous-ensembles de chenilles) ou AgDNA (logiciel de gestion agricole). De plus, la collaboration avec DataConnect et avec Agrirouter a été annoncée. Nous scrutons constamment le marché pour d’autres acquisitions stratégiques qui s’inscrivent dans notre portefeuille et peuvent l’étoffer.’

TP: ‘Lors d’Agritechnica, Steyr a présenté une concept de tracteur hybride, New Holland planche sur le développement plus poussé d’un tracteur au méthane, tandis que Case IH a présenté il y a maintenant quelques années un tracteur autonome. Quel est l’avenir de ces concepts?’

HM: ‘Tout d’abord, le tracteur au biogaz de New Holland n’est plus un concept mais peut maintenant être acheté et je pense qu’il ouvrira un tout nouveau segment de marché. Je ne comprends pas que nos concurrents ne se soient pas encore engouffrés dans cette brèche. Parce qu’avec le biogaz, un agriculteur peut produire sur sa propre exploitation et à un prix de revient concurrentiel sur le long terme son propre carburant neutre en CO2 (voire même à balance positive en termes de CO2 ), ce qui permet de faire des économies et de contribuer à l’environnement. Avec le concept de Steyr, nous voulons aller dans la direction des entraînements hybrides. Cela signifie la plus grande électrification possible avec un moteur diesel ou au gaz. Nous analysons maintenant les commentaires que nous recevons sur le concept. D’un point de vue purement technique, ce tracteur pourrait être commercialisé d’ici quelques années. Il est certain que l’électrification se poursuivra dans l’agriculture, en tant qu’entraînement pour un tracteur, mais également en ce qui concerne les outils attelés.’

TP: ‘D’après vous, à quoi va ressembler le tracteur de l’avenir?’

HM: ‘Ce sera une synthèse des technologies d’entraînement citées plus haut. Je vois aussi une automatisation croissante de nos outils, allant jusqu’à la conduite autonome. À l’échelle mondiale, il n’y a plus assez de travailleurs qualifiés dans l’agriculture et la conduite autonome sera une issue. Le Case IH Magnum que nous avons présenté lors d’Agritechnica est la suite logique de l’étude d’un tracteur autonome mentionné ci-dessus; il travaille de manière entièrement autonome au champ, tout comme notre moissonneuse d’ailleurs. Par ailleurs, New Holland planche également sur des machines travaillant de manière autonome, et principalement dans le domaine de la viticulture. Par ailleurs, il y aura des entraînements plus flexibles, soit électriques, tout comme des capteurs spécifiques, et les tracteurs seront complètement connectés afin d’optimiser les cycles de consommation et de maintenance. Le tout sera surveillé depuis ce qu’on appelle les Control Rooms des constructeurs, afin de rendre les machines aussi performantes que possible.’

TP: ‘Avec AgXtend, CNH Industrial a mis une plate-forme de l’innovation en place. Quelle est l’idée sous-jacente?’

HM: ‘Par l’intermédiaire d’AgXtend, nous voulons collaborer avec des start-ups. Et nous regardons comment nous pouvons offrir à nos clients soucieux de la qualité de la technologie agricole expérimentale, telle que la lutte écologique contre les adventices à l’aide d’un courant électrique. Nous suivons régulièrement les nouvelles startups. Si nous trouvons quelque chose qui nous intéresse, nous invitons l’entreprise en question à distribuer ses produits exclusivement par l’intermédiaire de notre réseau mondial de revendeurs. Pour ces entrepreneurs en général assez modestes, cela équivaut presque à gagner au Lotto; ils entrent ainsi en effet en contact avec des milliers de points de vente. Pour nous, ces partenariats sont inspirants. Ils conduisent généralement à des projets communs et des développements technologiques sur nos produits.’

TP: ‘A quoi peuvent s’attendre les clients à l’avenir en ce qui concerne ces collaborations?’

HM: ‘Nous ne sommes qu’au début de ces évolutions; cela peut encore aller dans les deux sens. AgXtend est un incubateur en pleine croissance, une serre pour les jeunes entreprises. Nous ajoutons actuellement une nouvelle société à AgXtend presque tous les trimestres. Ce qui est excitant dans le génie agricole, c’est qu’il s’agit d’une industrie extrêmement innovante. De nouveaux développements sont présentés quotidiennement, et chaque mois, deux ou trois nouvelles entreprises qui traitent principalement du thème de la technologie de gestion numérique de pointe voient le jour. CNH Industrial doit être un groupe technologique ouvert avec lequel on aime faire des affaires et qui ne se ferme pas face au monde extérieur.’

TP: ‘CNH Industrial participe à présent aux plates-formes digitales DataConnect et Agrirouter. Quelles opportunités voyez-vous pour ces plates-formes d’échanges de données entre les différents constructeurs?’

HM: ‘L’adhésion à ces plateformes confirme que CNH Industrial poursuit une approche numérique ouverte. L’agriculteur et l’entrepreneur doivent pouvoir choisir la meilleure solution pour eux. DataConnect permet aux agriculteurs de travailler avec un tracteur et des machines mixtes (de marques différentes), d’utiliser efficacement les analyses de leurs machines agricoles dans le système de gestion de l’exploitation et des cultures et de s’intégrer dans la gestion des machines existantes. Les deux plates-formes veulent passer à une norme d’échange de données. L’ensemble conduira à une augmentation de la productivité si l’agriculteur peut échanger ses données – soit en termes d’entretien des machines, mais aussi en production agricole efficace. Les systèmes fermés et liés à une marque n’auront aucune chance à l’avenir, j’en suis convaincu.’